TEASER :Quellessont les conditions qui permettent
la reconnaissance de leaders dans les organisations marocaines ? Un
échantillondans cinq cités a donné lieu à quelquesconclusions : 58% seulement des collaborateursreconnaissent le
leadership de leur manager direct ; les collaborateursdésignent le management
participatif, le sens de l’écoute et le sens de la communication parmi les
qualitéssouhaitables chez un leader.
ParAdibBensalem
Enseignant-chercheur,Cesem-HEM
Les
conditions économiques internationales et les défis auxquels doivent faire face
les économies émergentes ou en voie d’émergence, comme le Maroc, posent une
multitude de questions sur le développement du leadership marocain d’aujourd’hui
et de demain. Le leadership est une réponse déterminante aux enjeux auxquels
doivent faire face les managers et les leaders des organisations
socio-économiques et/ou sociopolitiques de ce siècle. Dans un monde en voie de
libéralisation où les références institutionnelles s’affaiblissent au profit du
devenir des individus et des communautés, il est crucial de mener une réflexion
sur les conditions de développement du leadership dans notre pays. Le
leadership est au cœur des discussions managériales et académiques (en
particulier anglo-saxonnes) depuis les années 1950 et il est associé à
plusieurs théories, modèles et principes d’action. C’est de ce constat que
découle notre volonté de susciter un débat, que nous souhaitons fructueux,
autour de la question du leadership dans les organisations publiques et privées
marocaines.
Alors que
nombre de travaux de recherche sur le leadership partent de l’hypothèse que les
dirigeants des entreprises performantes sont de vrais leaders et se
fixent pour objectif de les étudier, nous nous intéressons dans la présente
étude aux managers dont le leadership est reconnu par une majorité de
leurs collaborateurs (ou suiveurs). De ce fait, l’objectif que nous nous
assignons dans cette étude est de déterminer les conditions qui permettent la
reconnaissance de leaders dans les organisations marocaines ? Quatre situations
différentes se profilent :
Celle du manager, désigné
par sa hiérarchie pour occuper une position de commandement. C’est le leader
statutaire. Il occupe une position de leader grâce à son statut mais n’est pas
reconnu par ses collaborateurs comme tel. Il bénéficie d’une autorité formelle.
Celle du leader statutaire
dont le leadership est reconnu par ses collaborateurs. Il bénéficie d’une
autorité formelle et d’influence.
Celle du leader qui ne
possède aucune position de commandement mais est reconnu par ses pairs. Il
bénéficie d’une autorité d’influence uniquement.
Celle des collaborateurs
qui ne jouissent d’aucune autorité.
Encadré 1 : Méthodologie
Encadré 2 : Caractéristiques de
l’échantillon
Caractéristiques des organisations
Caractéristiques des collaborateurs
Caractéristiques des managers
Figure 1 : La reconnaissance du leadership du manager
par ses collaborateurs
Reconnaissance
du leadership du manager
Certaines
études rencontrées dans la littérature du leadership, comme l’étude de Jim
Collins1, s’intéressent exclusivement aux managers identifiés comme
leaders. Cette méthode est décriée par Phil Rosenzweig2 qui prévient
du danger de se focaliser sur les leaders sans les comparer aux managers
non-leaders. En effet, il serait impossible de garantir que les
caractéristiques des leaders soient absentes chez les non-leaders. Pour éviter
le biais de ce que Rosenzweig appelle l’effet Halo, nous décidons très tôt dans
le projet d’étudier tous les managers et de comparer les leaders reconnus à
ceux dont le leadership n’est pas reconnu par leurs collaborateurs. La figure
ci-dessus indique que 58% des collaborateurs interrogés reconnaissent le leadership
de leur manager direct, un chiffre qui nous semble insuffisant au vu de
l’ambition affichée du Royaume de développer son économie et concurrencer les
organisations étrangères sur le marché local et international. À l’inverse,
seuls 42% des managers sont reconnus en tant que leaders par une majorité de
leurs collaborateurs (voir Tableau).
Des
leaders rassurants
L’analyse
des réponses des managers aux questions quantitatives et démographiques révèle
que les leaders reconnus sont plus rassurants pour les collaborateurs du fait
qu’ils se distinguent clairement des leaders non reconnus, par l’ancienneté, la
confiance en l’avenir de l’organisation, la satisfaction de leur performance
personnelle et l’attitude calme (opposée à celle méfiante ou pressée).
Trois
types de collaborateurs
L’analyse
des réponses des collaborateurs aux questions quantitatives nous permet, quant
à elle, de construire une taxonomie des collaborateurs basée sur leur
satisfaction vis-à-vis de leurs managers et leurs organisations respectifs
(Tableau 3). Notamment, le groupe des « frustrés » semble servir de
tampon face à l’insatisfaction des collaborateurs vis-à-vis de l’organisation,
grâce au leadership de leurs supérieurs. Ainsi, ces organisations qui présentent
vraisemblablement des défauts d’ordre structurel semblent devoir la fidélité
relative de leurs collaborateurs à la qualité de leadership en leur sein. Cela
peut montrer l’importance accrue de l’aspect relationnel au sein des
organisations comparé à la dimension institutionnelle.
Tableau :Liens entre collaborateurs, managers et
organisation
Nous ne
décelons pas de différence notable dans la perception et la pratique du
leadership selon :
L’exercice dans le public
ou le privé
La taille de
l’organisation
La ville de l’organisation
En
revanche, il est clairement établi que le leadership féminin (moins fréquent
que le masculin) est associé à une meilleure formation et davantage de
satisfaction de la part du collaborateur.
Le
lien entre leadership et l’ordre de naissance
Un grand
nombre de leaders reconnus (80%) sont les aînés de leur famille. Alors que
seulement 33% des leaders non reconnus sont des aînés. En effet, toute une
littérature dédiée à la relation entre primogéniture et leadership politique confirme
cette thèse3.
Résultats
qualitatifs
Les
entretiens ont été traités à l’aide du logiciel d’analyse de données
qualitatives, Nvivo, afin d’explorer le texte collecté et identifier des
relations significatives entre les variables de l’étude.
Le
leader idéal
Lorsque
l’on pose la question aux managers : « Quel portrait dressez-vous d’un leader
idéal ? », ils listent dans l’ordre le fait de (1) Encourager le travail
d’équipe, (2) Être respectueux de ses collaborateurs, (3) Être compétent dans
son travail et (4) Pratiquer un management participatif.
Figure 2 : Nuage des mots utilisés par les managers
pour décrire le leader idéal
Lorsque
l’on pose la question aux collaborateurs:« Quel portrait dressez-vous d’un
leader idéal ? », ils listent dans l’ordre le fait de : (1)
Encourager le travail d’équipe, (2) Pratiquer un management participatif (3)
Avoir le sens de l’écoute, (4) Être compétent dans son travail, (5) Être
respectueux de ses collaborateurs et (6) Être bon communicateur. Notons que le management
participatif est plus prioritaire pour les collaborateurs et que de nouveaux
éléments, ignorés par les managers, s’ajoutent à la liste notamment le sens de
l’écoute et le sens de la communication.
Le
leader reconnu
Lorsque
l’on demande aux collaborateurs qui reconnaissent le leadership de leur
manager, de lister ses qualités, ils privilégient dans l’ordre : (1) Le respect
des collaborateurs, (2) La dimension éthique/morale du sérieux qui est en même
temps liée au travail et à l’honnêteté, (3) Les qualités humaines
(compréhension, confiance, serviabilité)… et (4) Les qualités professionnelles
et la compétence.
Au niveau
des défauts du leader, les collaborateurs déplorent les attentes
surdimensionnées et la pression trop forte pour plus de performance, source
importante de stress dans l’équipe.
Le
leader non reconnu
Il est
qualifié par les collaborateurs de technocratique, plus centré sur la gestion
de projet que la gestion d’équipe. Il manque de confiance en lui et dans
l’équipe, ce qui a pour conséquence de ne pas faire participer ses
collaborateurs dans les prises de décision. Il a du mal à s’imposer dans
l’équipe mais aussi par rapport aux acteurs intra-organisationnels tels que les
supérieurs hiérarchiques et les autres collègues et aux acteurs
extra-organisationnels tels que les clients et les fournisseurs.
Le
développement du leadership des collaborateurs
Seuls 14%
des managers affirment la mise en place d’un système formel de développement
des compétences de leadership au sein de leurs organisations respectives basé
sur des formations et des séances de coaching. Les autres managers déclarent
pour la plupart développer ces compétences de manière informelle à
travers les réunions, la responsabilisation, les activités team building, etc.
La
dimension familiale du leadership
Plusieurs
collaborateurs font l’éloge du climat de famille créé au sein de
l’entreprise : « Nous sommes comme une famille. Je ne peux pas
travailler ailleurs. Je me sens très à l’aise. » ou « Mon
supérieur considère ses subordonnées comme ses sœurs. » Cela corrobore
la persistance d’un système de leadership communautaire et paternaliste
étroitement lié aux spécificités de la culture marocaine.
Discussion et synthèse
Dans le
contexte de mondialisation et de concurrence accrue, les organisations doivent
affronter un monde de plus en plus instable. En interne, elles doivent
également apprendre à s’adapter aux nouvelles générations de salariés. Ceux que
nous avons pris l’habitude d’appeler les suiveurs rejettent aujourd’hui ce
statut et ne veulent plus être désignés par le mot « subordonné »
mais plutôt par le mot « collaborateur ». Ils revendiquent des
relations marquées par plus de respect de la part de leurs dirigeants capables
de recréer le cadre familial avec des relations de confiance et de partage.
Nous notons au passage que les revendications des collaborateurs ne couvrent
pas la dimension écologique et sociale traitée dans la littérature et qui
concerne spécifiquement les organisations occidentales.
Au Maroc,
et dans le secteur du service, les leaders sont appelés à développer davantage
leurs compétences communicationnelles, ces dernières étant peu abordées par les
écoles et les universités marocaines. Ces organisations ayant pour ambition
d’être à la hauteur de la concurrence internationale ne peuvent compter
uniquement sur le hasard pour voir se développer de manière informelle des
leaders capables de porter les projets et les ambitions de l’organisation.
Elles doivent nécessairement développer des processus formels destinés à
développer chez tous les salariés un leadership efficace et dans l’idéal
reconnu par tous.
“Collins (Jim), Good
to Great: Why Some Companies Make the Leap... And Others Don’t,
HarperCollins, 2001”.
Rosenzweig (Phil), The Halo effect,
Free Press, 2007.
Andeweg (Rudy B.) et Van Den Berg (Steef
B.), LinkingBirthOrder to Political Leadership: The Impact of Parents or
Sibling Interaction?LeidenUniversity, Netherlands, 2003.