90 ANS DE THEORIE SUR LE LEADERSHIP


TEASER :La recherchedès les années 1920 s’estfocalisée sur l’identification des qualités de personnagesimminents en position de leader. Uneévolution du concept s’estopéréedepuis : d’un leadership « directif » à celui « participatif ». D’un processusunidimensionnel, la théorie du leadership estdevenuemultidimensionnelle. Les organisations du XXIe siècle ontbesoin de leaders sûrs, capables de porter leursprojets.

 

ParElMostafaBensalemetAdibBensalem

Chercheuruniversitaireetconsultant

Enseignant-chercheur, Cesem-HEM

 

Origine et définition

 

Burns1 (1978) affirme que « le leadership est l’un des phénomènes les plus observés et les moins compris ». En effet, ce paradoxe hante, depuis des siècles déjà, un grand nombre de chercheurs qui tentent de comprendre le leadership, sa manifestation, ainsi que les éléments qui le composent. Tous ces travaux font incontestablement du leadership un des phénomènes les plus complexes auxquels s’est heurtée la recherche organisationnelle et psychologique, renforcée d’apports d’obédiences scientifiques multiples et variées : de l’anthropologie aux sciences de gestion, en passant par l’ethnologie, la sociologie et la psychologie.

 

 

 

Alors que l’on retrouve dans la littérature le concept de leadership dès le XIVe siècle (Stodgill2, 1974), la recherche scientifique sur le sujet n’a réellement commencé qu’au XXe siècle (Bass3, 1981). Étymologiquement, le mot leader vient du mot ancien anglaisleden (guider) et du mot latin ducere (conduire). Plusieurs langues européennes anglo-saxonnes et latines créent leurs versions de ce mot à partir des racines anglaises et latines depuis 1300 à nos jours, hormis la langue française, qui ne possède toujours pas d’équivalent pour les mots leader et leadership (Rost4, 1991).

 

Bien qu’ancien, le concept de leadership n’en demeure pas moins complexe. Selon Rost, il existerait autant de définitions du leadership que ceux ayant tenté de le définir. Il échoue d’ailleurs à extraire une définition commune à partir de l’analyse de 221 interprétations différentes du mot leadership. Nous constatons malgré cela une évolution du concept, à travers les travaux étudiés, d’un leadership « directif » à un leadership « participatif » (Tableau 1). La définition commune à toutes les époques serait, selon nous, que le leadership est une relation, entretenue entre un leader et des suiveurs, qui donne lieu à une action.

 

 

 

Tableau 1 : Évolution des définitions du leadership (adapté et traduit de Rost, 1991)

 

 

 

L’évolution des définitions du leadership n’est pas anodine et suit avant tout celle des théories du leadership (Figure 1).

 


Figure 1 :Les approches théoriques du leadership (source : élaboration personnelle)

 

 

 

 

L’approche des traits

 

La théorie des traits est considérée comme l’une des théories originelles du leadership. Les traits sont les caractéristiques distinctives du leader dont nous mentionnerons entre autres l’intelligence, les valeurs, la confiance en soi et l’aspect physique. Cette théorie accorde donc une grande importance aux traits personnels du leader et attribue son leadership à un ensemble de qualités qui lui permettent de se différencier des suiveurs. La recherche dès les années 1920 se focalise sur l’identification des qualités de personnages imminents en position de leader. Ces travaux constituent la base de « la théorie des grands hommes » qui affirme le caractère inné des qualités associées au leadership. La grande diversité des traits des leaders étudiés finira par démontrer que la plupart des caractéristiques identifiées sont dissociées du leadership. Certaines seront malgré cela retenues jusqu’à nos jours comme la confiance en soi, l’honnêteté, l’empathie, la prise d’initiative, l’intelligence et l’impulsion.

 

 

L’approche comportementale

 

à partir des années 1950, plusieurs chercheurs s’intéressent non plus aux caractéristiques intrinsèques du leader mais plutôt à son attitude et son comportement sur le terrain. Cette approche véhicule l’idée que toute personne qui parvient à adopter le comportement approprié pourrait devenir leader. Les pratiques comportementales du leader seraient, selon les tenants de cette approche, plus faciles à acquérir et à mettre en œuvre que les traits du leader. Plusieurs travaux viennent illustrer ce courant de pensée. Peter Drucker propose d’adopter huit comportements essentiels : (1) Demandez ce qui doit être fait, (2) Demandez ce qui est approprié pour l’entreprise, (3) Développez des plans d’action, (4) Prenez la responsabilité de vos décisions, (5) Prenez la responsabilité de communiquer, (6) Focalisez-vous sur les opportunités et non les problèmes, (7) Conduisez des réunions efficaces et (8) Pensez et dites « nous » et non « je ».

 

 

 

 

 

L’approche situationnelle

 

Cette approche souligne l’importance que revêtent les facteurs contextuels tels que le type de travail exécuté par l’entreprise, le type d’environnement externe et les caractéristiques des suiveurs. Cette approche comprend deux catégories. Un premier groupe de travaux étudie l’impact des éléments contextuels sur le comportement de leader alors qu’un deuxième groupe s’intéresse à la relation entre comportement et performance du leader avec les facteurs contextuels en tant que variables modératrices. Ce dernier courant de recherche est parfois désigné « d’approche de la contingence ». La théorie situationnelle du leadership développée par Hersey et Blanchard5 (1979) se positionne logiquement dans ce corpus théorique. Leur théorie considère les caractéristiques des suiveurs comme un élément essentiel de la situation, notamment le niveau d’expérience et de compétence dudit suiveur. Ainsi, les collaborateurs aux compétences faibles auraient besoin d’un style de leadership différent de ceux aux compétences élevées. Quatre styles de leadership fondent cette théorie : directif, persuasif, participatif et délégatif. Le style directif est « descriptif » puisque le leader y décrit toutes les tâches à accomplir ; ce style est plus approprié au collaborateur débutant. Le style persuasif comprend la définition d’une direction et la consultation des collaborateurs avant la prise des décisions importantes. Le style participatif caractérise le leader conseiller qui guide et coache ses collaborateurs. Enfin, le leader délégatif donne l’entière responsabilité de l’exécution des tâches au collaborateur au niveau de compétence élevé.

 

 

 

 

L’approche transformationnelle

 

Cette approche, relativement plus récente, est plus intégrative que les théories précédentes et inclut des éléments issus de ces dernières tels que les traits, les comportements et les situations. L’approche transformationnelle s’oppose, ou complète pour certains, l’approche transactionnelle. En général, une relation entre deux personnes est basée sur l’intensité de leurs échanges, financiers ou non. Un manager promet une prime en échange d’une meilleure productivité ou un politicien promet des avantages en échange d’un vote. Toute relation qui comprend un échange est de type transactionnel. Le leader transformationnel va plus loin et suscite des émotions chez les suiveurs qui les poussent à accomplir un travail au-delà des attentes d’une relation transactionnelle. Ce type de leadership inclut, sans être exhaustif, l’expression claire d’une vision et des valeurs congruentes avec le comportement du leader, des attentes élevées, une communication efficace, une prise de risque, un souci pour l’intérêt général, et l’incarnation d’un modèle source d’inspiration pour les collaborateurs.

 

 

 

Un modèle intégrateur

 

La réflexion théorique, mêlée à des expérimentations pratiques et à la réalisation d’enquêtes sur le terrain était, dès les premières recherches, présentée comme un processus très unidimensionnel, interne et individualiste, où seuls sont pris en considération la personnalité du leader (la théorie des grands hommes, Bowden6, 1927), ses traits de personnalité (la théorie des traits, Bingham7, 1927) ou son comportement (les théories reposant sur la dissuasion et la persuasion : French8, 1956 ; French et Raven9, 1959). La réflexion se poursuit avec l’analyse des relations dyadiques (Bass, 1960 ; Likert10, 1961) qui concernent les interactions du leader avec ses collaborateurs. Des éléments situationnels externes à la dyade dirigeant-dirigé se mêlent à l’équation du leadership comme processus d’identification du groupe. Un autre niveau s’ajoute au développement de la théorie du leadership avec l’approche de la contingence qui prend en compte le contexte dans lequel évolue l’objet d’étude. La théorie des « prophéties auto-réalisatrices » (P.A.R) introduite par Field11 (1989) vise à améliorer les théories précédentes en considérant que la transformation est un processus réciproque entre le leader et le subordonné. Autrement dit, la PAR peut être activée à partir des niveaux inférieurs ou supérieurs de l’organisation. D’un processus unidimensionnel, la théorie du leadership devient multidimensionnelle. Le modèle de la figure 2 tente d’intégrer les multiples dimensions qui conduisent au leadership performant.

 

Figure 2 : Modèle intégrateur du leadership (source : élaboration personnelle)

 

 

 

 

Le futur du leadership

 

Les organisations font face à des problèmes de plus en plus épineux liés à leur présence sur des marchés de plus en plus concurrentiels. Elles doivent faire face à des crises économiques et financières de plus en plus profondes qui menacent leur existence même. Elles doivent également faire face aux revendications de plus en plus exigeantes de la société civile, d’organisations non gouvernementales pointilleuses sur le respect de normes et/ou de nouvelles valeurs dont elles n’avaient pas tenu compte auparavant (responsabilité sociale, normes écologiques et environnementales…).

 

 

 

Dans ce contexte, les suiveurs revendiquent des relations marquées par plus de respect et de considération de la part de leurs dirigeants. Ils sont plus informés grâce à la démocratisation de l’accès à l’information. Ils connaissent mieux leurs droits et savent qu’ils peuvent s’appuyer sur des associations, des ONG, et des syndicats pour les faire valoir. Ils ont un poids électoral de plus en plus grand dans des sociétés démocratiques en marche vers plus de progrès et ont pris conscience de leur capacité à influencer les décisions politiques.

 

Ces éléments induisent un changement dans le comportement des dirigeants qui, de ce fait, doivent évoluer pour tenir compte de l’avis de leurs collaborateurs et abandonner l’exercice d’un pouvoir unidirectionnel et autoritaire. Au-delà d’influencer, il s’agit d’élever ses collaborateurs au rang de partenaires, d’écouter leurs points de vue, de les motiver pour une implication plus forte et de stimuler leur créativité. L’enjeu pour les dirigeants est de démontrer qu’ils ont pris conscience de leur responsabilité éthique vis-à-vis de toutes les parties prenantes de l’organisation. Ces nécessités renvoient aux notions de leadership éthique et de leadership responsable12. Un leader doit puiser son pouvoir dans sa capacité à se fondre dans son équipe, à entretenir des relations équilibrées avec ses collaborateurs et à les aider à devenir eux-mêmes des leaders (notion de leadership partagé ou distribué13). Nous terminons cet article sur un paradoxe, tel qu’au début de notre réflexion. Les organisations du XXIe siècle ont besoin plus que jamais de leaders sûrs, capables de porter leurs projets dans des contextes nouveaux, risqués et incertains.

 

 

Bums (James MacGregor), Leadership, New York, Harper &Row, 1979.

Stogdill (Ralf Melvin), Handbook of leadership, New York,freePress, 1974.

Bass (Bernard M.), Bass &Stogdill’sHandbook of Leadership, 3rd edition, New York, The Free Press, 1990.

Rost (Joseph), Leadership for the Twenty-First Century, New York, Praeger, 1991.

Hersey (Paul), Blanchard, (Kenneth H.), Natemeyer (Walter E.), “Situational leadership, perception, and the impact of power”, Group &Organization Management, 4(4), 1979, 418-428.

Bowden A.O., “A study on the personality of student. Leadership in the United States”, Journal of abnormal Social Psychology, vol. 21, pp. 149-160, 1927.

Bingham W.V., “Leadership” in Metcall, H.C. (Ed), The psychologicalfoundation Of Management, New York, Shaw, 1927.

French (John R.P.), “A formal Theory of Social Power”, PsychologicalReview, vol. 63 pp. 181 à 194, 1956.

Likert (Rensis), New Patterns of Management, Mc Graw-Hill, New York, 1961.

French, (John R.P.), Raven (Bertram H.), “ The bases of Social Power”, Studies of Social power, Institute for social Power, Michigan, Cartwright, D. (Ed), 1959.

Field (Richard H.G.), “The Self-FilfullingProphecy Leader: Achieving the MetharmeEffect”, Journal of Management Studies, vol.26, 1989.

Gond (Jean-Pascal), Igalens (Jacques), Swaen (Valérie), El Akremi (Assâad), “The HumanResources Contribution to Responsible Leadership: An Exploration of the CSR–HR Interface”, The Journal of Business Ethics, 2011.

Peretti (Jean-Marie), Tous leaders, Paris, Éditions Eyrolles, 2011.

Comments

Mr le professeur Mon/Jan/2016
mm a commenté :) merci

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